Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

« Le Katorza, c’est l’anti-esprit de chapelle »

Caroline Grimault, directrice du Katorza à Nantes fête les 100 ans du cinéma nantais. L'occasion de revenir sur son histoire...

©thierry butzbach

Comment est né le Katorza ?

La guerre de 14 a mis un terme au cinéma itinérant. D’abord, parce que les trains ont été réservés à un autre usage. Mais aussi à cause de l’instauration d’un carnet de circulation qui a obligé les forains à se signaler, ainsi que pour des raisons économiques : Charles Pathé a décidé de ne plus vendre ses films mais de les louer et de privilégier les cinémas fixes. Ces quatre éléments ont signé le déclin du cinéma forain, qui était le premier cinéma. C’est à ce moment-là que Salomon Katorza décide de s’installer.

Ce forain, arrivé de Tunisie avec ses frères pour monter un théâtre de nouveautés, rachète ce cinéma qui n’arrivait pas à ouvrir à Georges Meliès. À l’origine, c’était le K’Torza, qui a d’abord été francisé en Kétorza avant de prendre son nom définitif de Katorza, dès 1898. 

Le Katorza c’est avant tout une histoire d’hommes… et de femmes !

En effet ! Depuis sa naissance, le Katorza n’a eu que quatre propriétaires et huit directeurs, dont trois femmes.

À la mort de Salomon Katorza en 1928, sa veuve, surnommée « la mère Katorza », recrute une jeune femme : Gabrielle Nouaille qui va devenir une des femmes clés du cinéma. Embauchée comme secrétaire, elle devient à son tour directrice, quatre ans plus tard. 

Pendant la guerre de 39-45, elle doit faire face à l’occupation et aux lois anti-juives qui interdisent aux juifs de travailler dans le monde du cinéma. Face aux appétits, au risque de délation, le propriétaire, Adrien Gougguenheim, organise la vente du Katorza à Gabrielle Nouaille, juste avant de se faire arrêter, puis déporter à Auschwitz. Il n’en reviendra pas. 

Malgré la guerre, le cinéma continue ses projections, jusqu’à la deuxième péripétie : le 16 septembre 1943, deux bombes explosent sur le Katorza. Gabrielle Nouaille rouvrira un cinéma flambant neuf en 1951. Mais la concurrence est alors féroce avec l’Apollo et l’Olympia et celle qui se fait désormais appeler « Annie » n’hésite pas à refermer le cinéma un an après pour casser sa scène, en faire un cinémascope* et signer un contrat d’exclusivité. Le Katorza est alors le premier cinéma en-dehors de Paris à être équipé en scope.

Vous êtes à votre tour directrice du Katorza depuis 7 ans. Quel est votre rôle ?

Nous sommes une équipe de 14 personnes. Mon rôle consiste à animer une équipe et un lieu en essayant de réunir tout le monde autour d’une politique éditoriale, de films et d’actions culturelles. 

Le Katorza, c’est l’anti-esprit de chapelle par excellence. On a la confiance du public. Du coup, on fait très attention à ce qu’on leur montre. J’ai, par exemple, refusé des réalisateurs connus parce qu’ils ne correspondaient pas à la ligne éditoriale et à notre exigence de qualité. 

Quels ont été vos chantiers depuis votre arrivée ?

Je suis arrivée dans une période de transition. Les salles avaient déjà été équipées en numérique, l’Apollo et ses places à 10 € avait fermé. On était dans une guerre des prix terrible­… L’autre gros coup pour nous, ça a été le Gaumont et le Pathé qui se sont mis à passer des films en version originale dans leurs multiplexes.

Tout mon travail, au-delà du quotidien, consiste à donner de la lisibilité au cinéma, alors que beaucoup de films porteurs vont au Gaumont. La concurrence est féroce, il faut convaincre les distributeurs de donner une copie au Katorza et, dans la mesure du possible, de nous laisser seuls.

Je pars de l’extraordinaire attachement des Nantais à cette salle pour valoriser l’expérience cinéphile. On se différencie par notre accueil client, on organise beaucoup d’avant-premières, avec de vrais débats, pas juste une présentation par les têtes d’affiche.

L’autre axe sur lequel je travaille, c’est d’entretenir la curiosité des Nantais avec la création de nouveaux rendez-vous, comme Univerciné et l’organisation de festivals. On en a désormais dix par an. On travaille aussi avec l’Opéra de Nantes, le Grand T, Stéréolux… À part juillet et août, il n’y a pas un mois où il ne se passe pas quelque chose au Katorza.

On a aussi redéfini notre positionnement marketing. Avec Le Voyage à Nantes, on a travaillé sur notre enseigne. On s’est également rapproché de l’Office du Tourisme et on est actifs sur les réseaux sociaux : notre page Facebook est suivie par 12 000 abonnés. Ce sont des milliers de petites choses… L’idée, c’est de ne pas être dans la nostalgie, mais de s’appuyer sur l’histoire pour mieux la continuer. 

Sur quoi repose votre modèle économique
aujourd’hui­­ ?

La confiserie ne représente même pas 1% du chiffre d’affaires alors qu’il constitue jusqu’à 15% de celui des multi­plexes. Les subventions, elles, correspondent à 10% du CA. On ne peut donc vraiment compter que sur nos entrées.

Le Katorza fête ses 100 ans et c’est un véritable événement !

Qu’il ait 100 ans n’est pas si exceptionnel, mais c’est extrêmement rare qu’il ait gardé le même nom et soit resté au même endroit, à ne faire que du cinéma. Ce que je constate, c’est qu’il suscite un attachement bien plus grand que celui que les cinéphiles entretiennent d’habitude avec une salle. Il a traversé l’histoire du cinéma.

C’est pour cela que l’on a voulu marquer les esprits avec trois grands temps forts, trois « claps », entre juillet 2019 et juin 2020. Avec le premier, il y a quelques jours, à l’occasion des Journées du Patrimoine, on a voulu revenir sur 100 ans de cinéma. Pour le « Clap 2 », on proposera aux Nantais de réveillonner au Katorza pour fêter avec nous l’entrée dans notre deuxième siècle. Le troisième temps fort, enfin, se déroulera en partenariat avec l’Opéra de Nantes. On va organiser une séance en plein air le 19 juin 2020 avec un concours de gâteaux d’anniversaire. Et le lendemain, le cinéma lui-même sera le cadeau : on proposera la séance à 1 € toute la journée, pour tous les films et à toutes les séances !

Comment voyez-vous l’avenir du cinéma ?

La grande époque des années 40 est révolue. La télévision nous a fait du mal et, derrière, le numérique a déstabilisé le marché du cinéma. La concurrence des plateformes de vidéos comme Netflix est très inquiétante… Mais je suis d’un naturel optimiste et combatif !

* procédé optique qui, par un jeu de miroirs et de lentilles, comprime l’image dans le sens vertical et la restitue ensuite dans sa largeur normale. Le cinémascope lança la mode de l’écran large.