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La propreté, plus visible mais fragile

Face au choc économique que génère l’épidémie de Covid-19, la rédaction de l’IJ a choisi de prendre le pouls, dans les prochaines semaines, d’un certain nombre de secteurs clés. Celui de la propreté est en première ligne. Et contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, les entreprises de nettoyage ne connaissent pas forcément un boom de leur chiffre d’affaires

En Loire-Atlantique, le secteur de la propreté compte 263 entreprises – sans compter les auto­entrepreneurs – pour 12 427 emplois, selon la Fédé­ration des entreprises de propreté (Fep), syndicat national représentatif de la branche. La Fep est organisée par région. La Fep Ouest couvre ainsi les Pays de la Loire, la Bretagne et la Basse Normandie. La Loire-Atlantique est le territoire le plus repré­senté, avec 58 adhé­rents sur un total de 300. « Toutes les entre­prises de taille significative, les PME et les grandes entre­prises nationales sont adhérentes à la Fep via le Groupement des entreprises de nettoyage à implantations multiples (Genim), et partagent les mêmes informations et travaux sur notre branche », précise Bernard Lusson, président de la Fep Ouest depuis cinq ans. 

Bernard Lusson, dirigeant de Yanet et président de la Fep Ouest

« Selon une enquête nationale de la Fep, réalisée mi-avril, la quasi-
totalité des entreprises ont vu leur situation globale se détériorer (98%). C’est presque une tautologie. Nous intervenons sur les sites de nos clients. Forcément, quand ils ferment leurs bureaux pour passer au télétravail, la prestation de propreté s’arrête ou est fortement diminuée. Après le 16 mars, cela a pris quelques jours pour mettre en place des protocoles de sécurité. Certains ont pu rouvrir dans les filières où cela était possible. L’impact est donc différent selon nos secteurs d’intervention », analyse celui qui est aussi dirigeant de l’entreprise Yanet, basée à Saint-Herblain depuis quarante ans. Ainsi, le nettoyage des copropriétés a pu être effectué en respectant les règles de distanciations sociales. De même pour l’agroalimentaire qui s’est adapté et a poursuivi les prestations de nettoyage. Contrairement au tertiaire ou encore aux chantiers du BTP et tous les établissements fermés par arrêté.

52% DE PERTE DE CA

Les pertes moyennes de chiffre d’affaires tournent autour de 50% selon l’étude nationale de la Fep, 52% dans l’Ouest. « Mais cela va de 20 à 80%, selon les secteurs d’activité auxquels appartiennent nos clients. »  Sachant que seules 6% des entreprises sont certaines d’avoir suffisamment de trésorerie pour faire face à la crise. 

Ainsi, Yanet a perdu 250 000 € de CA en mars sur un chiffre habituel d’environ 1,4 M€ par mois. De son côté, Net Service, basée à Saint-Nazaire et reprise en 2018 par Joséphine Batista, a perdu 40% de son chiffre en mars, pour un CA annuel de 1,9M€ en 2019. « Ces 40% représentent notre intervention dans les secteurs les plus impactés, tertiaire, événementiel et hôtellerie », précise la cheffe d’entreprise, lauréate du Réseau entreprendre Atlantique en 2018. Parmi les dispositifs d’aide, Yanet a eu recours à un prêt garanti par l’État (PGE) d’un montant équivalent à un mois et demi de volume de chiffre d’affaires. « Nous envisageons de rembourser le prêt au bout d’un an. Nous l’utilisons comme une sécurité pour les quelques mois difficiles à venir. » C’est le cas aussi de Net Service mais pas de MISP. 

« Nous avons mal vécu le confinement car, contrairement à ce qu’on pense, le nettoyage n’a pas explosé. La mise en place du chômage partiel a été quasi instantanée. Certains ont connu un arrêt total de leur facturation. Moi j’ai eu de la chance car j’ai des clients bienveillants. C’est peut-être le milieu nantais, il y a une certaine reconnaissance », témoigne Jean-Michel Dias, dirigeant de MISP, également lauréat du Réseau entreprendre Atlan­tique. Surtout, MISP compte parmi ses clients la plateforme logistique d’E.Leclerc, SCA Ouest : « Ils ont eu un regain d’activité donc cela a permis d’éviter le chômage partiel à certains agents. Nous les avons basculés sur d’autres missions. » L’entreprise a déclaré 700 heures de chômage partiel en mars, 1 200 en avril. L’entrepreneur estime avoir perdu 50% de sa facturation1.

ACCOMPAGNEMENT ET CONSEIL

Jean-Michel Dias parle de l’expérience engrangée lors de la grippe H1N1 en 2009-2010. « C’était alors la première fois que nous étions confrontés à une pandémie. Les mesures d’urgence avaient été élaborées un peu n’importe comment. Des stocks de gels et masques n’avaient pas servi. Cette fois, nous sommes bien plus dans le conseil aux clients. On cherche à les rassurer et à préconiser des mesures responsables. La désinfection systématique n’est pas toujours nécessaire. Nous avons également proposé des kits pour que les salariés participent eux-mêmes aux questions sanitaires et adoptent une organisation efficace. Par exemple, laisser les portes ouvertes, ne pas toucher les rampes d’escalier… C’est tout-à-fait envisageable dans le tertiaire. Ce sera bien sûr différent pour un supermarché qui doit nettoyer les chariots, les rayons… Nous nous sommes posés en tant qu’accompagnateur de la crise plutôt que de vouloir en profiter pour facturer plus. »

Joséphine Batista, dirigeante de Net service

Joséphine Batista loue la démarche proactive qui a prédominé aux premiers jours du confinement. « Nous sommes une petite structure2 (50 équivalents temps plein) et nous connaissons bien nos clients. Ce sont des partenaires avant tout. Nous nous faisons confiance donc personne n’avait de doute sur les capacités de chacun à trouver de bonnes solutions. Nous avons tout de suite identifié les sites à risque et prévenu les clients pour élaborer ensemble un process. Par exemple, dans les copropriétés, nous avons diffusé consignes de propreté et affichages pour informer les habitants. »

Joséphine Batista parle du lien humain particulier qui a régné dans ses équipes au début de la crise : « Il a fallu veiller à ce que nos salariés ne s’inquiètent pas, choisir une communication claire, être dans l’écoute. Il y avait beaucoup de questionnements. Tous, en tant qu’humains, nous sommes touchés par la situation. Nous sommes allés au-delà de la sphère professionnelle car il y avait derrière chaque collaborateur des familles à rassurer. L’inquiétude était très présente au départ, puis elle s’est allégée. 
 Au final, tout le monde s’est mobilisé. Les collaborateurs ont pris les choses en main et ont été courageux. »

DIFFICILES RÉORGANISATIONS

Certaines entreprises ont rencontré un surcroit d’activité avec des besoins accrus en désinfection et décontamination. « L’encadrement intermédiaire de nos entreprises a beaucoup travaillé pour faire le lien entre les clients qui fermaient et ceux qui avaient le plus besoin de nous. Cela a été un exercice difficile. Plusieurs personnes dans les équipes étaient en arrêt pour garde d’enfant, et nos disponibilités n’étaient pas forcément en adéquation avec celles des clients », rapporte Bernard Lusson.

Chez Yanet, le recrutement a continué, « en mode dégradé puisque les entretiens n’étaient pas possibles, mais des embauches en CDD ont été réalisées pour compenser les arrêts de travail. Cela a été un travail de fourmi, au jour le jour, avec des équipes sollicitées à la fois sur le terrain dans un contexte angoissant et la nécessité pour l’encadrement intermédiaire de s’adapter chaque jour aux besoins des clients. D’autant que la situation pouvait évoluer chaque jour, avec des changements de doctrines, notamment sur le port ou non du masque. Nous avons été obligés de faire preuve d’une agilité énorme pour rassurer les équipes. » Yanet compte 550 collaborateurs dont 400 à temps complet et environ 40 personnes embauchées pendant le confinement. À ce jour, l’entreprise n’a pas recensé de contamination au Covid-19 ni chez ses clients.

PÉNURIE DE FLACONNAGE

Des protocoles spécifiques ont été mis en place en fonction des secteurs, que l’intervention se fasse dans une copropriété ou un site industriel.

Parmi les autres adaptations au contexte, Net Service a dû réduire son temps de travail en journée. « C’est un aspect important pour nous, pour valoriser ces métiers. Mais avec le virus c’était moins envisageable. Cela dépendait des sites. Il fallait un vide de présence de plus de douze heures, réaliser le moins de manipu­lations possibles… », témoigne Joséphine Batista. 

Chez Yanet, les prestations sont restées dans le cadre des volumes horaires des contrats, avec une modification de certaines missions. Par exemple, dans les copropriétés, l’accent a été mis sur la désinfection des points de contacts (poignées de portes, boutons d’ascenseur…). 

La Fep a par ailleurs relevé des difficultés chez nombre de ses membres pour s’approvisionner en équipements de protection. Le syndicat a d’ailleurs sollicité le Premier ministre dès le 23 mars 
pour être considéré comme prioritaire dans la distribution des équipements de protection. « Le prix d’achat des fournitures a été multiplié entre 5 et 10 par rapport à d’habitude. On arrive à s’approvisionner, mais avec un surcoût et des délais supplémentaires de livraison. Il y a aussi une pénurie sur le flaconnage des gels, y compris des pulvérisateurs. Nous n’avons pas de problème pour trouver un bidon de 5L, mais les flacons plus petits sont introuvables. Idem pour les gants : on ne trouve plus de gants chirurgicaux jetables donc on les décontamine avec un protocole particulier. »

Est-ce que ces surcoûts vont être répercutés sur le tarif des prestations de nettoyage ? « C’est une négociation au cas par cas avec chaque client, répond Bernard Lusson. Certains nous commandent même des équipements puisque nous pouvons en avoir un peu plus facilement qu’eux. Mais il y aura une réflexion à avoir, sans règle générale. Tout cela va sans doute peser sur nos marges. » Et d’ajouter : « Au final, cela a été un confinement particulier pour nous car le pays avait la sensation d’être à l’arrêt, 
mais nous étions dans une dynamique interne intense, avec beaucoup de travail de réorganisation. Depuis le déconfinement, l’écart s’est resserré. Beaucoup d’entreprises ont repris. »

Ainsi, le secteur du BTP met les bouchées double aujourd’hui alors que dans le tertiaire la reprise est beaucoup plus progressive. Pour ceux qui sont toujours en télétravail, le nettoyage reste à l’arrêt complet. « La situation globale reste contrastée », estime le président de la Fep Ouest.

Beaucoup de sociétés du secteur de la propreté aujourd’hui effec­tuent surtout des chantiers de désinfection. Ainsi, Net Service connaît un regain d’activité dans certains secteurs. Notamment les entreprises du BTP qui doivent désinfecter certains espaces toutes les deux heures contre une fois par jour en temps normal. Certaines entreprises réalisaient le travail en interne mais n’ont pas pu le poursuivre avec des arrêts de salariés et ont donc fait appel à Net Service.

Chez MISP, l’activité a repris. Mais Jean-Michel Dias ne cherche pas à accroître ses contrats à partir du risque du virus : « Quand la crise sanitaire sera jugulée, si on a trop augmenté notre activité, il faudra la réduire quand il n’y aura plus besoin de toutes ces désin­fections. Donc se séparer du personnel. C’est douloureux pour les équipes et dur pour moi d’avoir à entreprendre ce genre de mécanique. »

Quid du rebond ? Pour Yanet, l’objectif serait de retrouver le volume d’avant crise. « Mais bien malin celui qui pourrait dire comment se passeront les mois de juin, juillet et août… On s’attend à ce que des entreprises aient des difficultés financières donc des problèmes de paiement. À l’instar d’autres secteurs, on navigue à vue. Nous avons un socle de contrats qui vont reprendre normalement. Certains clients auront à cœur de privilégier l’hygiène, mais pour d’autres ce sera difficile et ils vont réduire leurs demandes de prestation. » Des entreprises ont d’ailleurs déjà demandé de suspendre leurs paiements. « L’horizon qui inquiète c’est l’après été, à partir de septembre. Des secteurs entiers vont être durablement impactés, notamment le tourisme, l’aéronautique, le CHR… Il y aura des faillites, donc nous perdrons forcément des contrats… Au global, notre secteur suivra la courbe de croissance de l’économie. »

FAVORISER LE TRAVAIL EN JOURNÉE

Pour autant, la filière propreté compte bien bénéficier de la forte visibilité qui lui est accordée aujourd’hui. « J’espère que nous allons pouvoir développer le travail en journée. Les missions de nos agents sont ainsi plus visibles et cela a un effet bénéfique pour tout le monde. Nous voulons faire en sorte que notre métier soit mieux reconnu et valorisé mais c’est aujourd’hui difficile à mesurer. Les regards sont en train d’évoluer. À l’Ouest, nous sommes en avance sur le travail en journée3 avec des donneurs d’ordre qui permettent aux entreprises d’intervenir de jour. Il existe une vraie volonté politique d’appuyer ces démarches », explique Bernard Lusson pour la Fep Ouest. 

Même son de cloche pour Jean-Michel Dias qui souligne l’engagement de ses équipes : « Les agents de service sont souvent dans l’ombre. Aujourd’hui, on voit combien ils sont importants au quotidien. Des gens se sont remobilisés plus que jamais. L’investissement de ces métiers est à retenir alors qu’ils sont souvent dénigrés, pas considérés. J’espère que cela durera après la crise sanitaire, que l’on prendra la peine de présenter nos équipes aux salariés des sites sur lesquels nous intervenons… »

De son côté, Joséphine Batista relève les témoignages de sympathie recueillis depuis la crise : « Des personnes nous ont appelés pour nous remercier. Nous avons trouvé beaucoup de marques de gentillesse dans les copropriétés avec des mots glissés dans les parties communes… Un nouveau regard est porté sur le métier alors que nous étions surtout vus comme un coût. » La cheffe d’entreprise est plutôt optimiste car « personne ne peut passer à côté de son entreprise de propreté aujourd’hui ». Même si elle s’inquiète pour la situation de ses partenaires. « Il faut payer ses fournisseurs. Nous l’avons fait pour ce qui nous concerne. L’achat de véhicules, notamment, a été maintenu. »

Aujourd’hui, le secteur de la propreté se situe dans une volonté « d’accompagner le pays pour avancer, insiste Bernard Lusson. Le travail que nous déployons ne se traduit pas forcément en volume de chiffre d’affaires mais en volume d’activité. Nous sommes dans une belle énergie, avec l’envie d’accompagner, d’être utiles à nos clients. »

 


1. MISP a été créée en septembre 2019. Le montant du CA annuel n’est donc pas disponible. La jeune société compte 48 salariés, avec la volonté d’atteindre 70 personnes en septembre 2020.

2. Net Service compte 50 équivalents temps plein. La société travaille peu avec l’interim mais surtout avec des structures d’insertion comme le Gec de la propreté. Son rayon d’intervention se situe entre le bassin de Saint-Nazaire et Saint-Herblain.

3. La Fep Ouest est considérée par la Fep comme une région pionnière en matière de travail en journée. La première charte pour le déploiement des prestations de jour a été signée en 2009 à Nantes. Ces chantiers ont plus que doublé entre 2012 et 2015 (+125%) selon une étude MSI de mai 2015.

 

MISP se diversifie

Pedro Dias, Jorge Fernandes et Jean-Michel DIAS

Face à la pénurie de distributeurs de gel, la société MISP a décidé d’en fabriquer avec son partenaire MISM. « La société JVD, basée à Rezé, saturait et ne parvenait pas à fournir toutes les commandes . Nous avons été sollicités par la société de métallurgie MISM, chez qui nous sommes hébergés, pour démarrer cette production », explique Jean-Michel Dias. 
Le chef d’entreprise est un ami d’enfance de Jorge Fernandes, dirigeant de MISM. Celui-ci l’a encouragé à créer sa propre société en 2019. Pour l’aider, MISM partage d’ailleurs avec MISP ses services administratifs. Avec la crise sanitaire, la société de métallurgie s’est retrouvée en difficulté et a proposé le lancement de la production de ces bornes pour gel. Jean-Michel Dias explique : « Nous produisons pour répondre à la demande locale. 
Les délais sont de 8 à 10 semaines. Ce n’est pas tenable pour nos CHR, par exemple, qui sont déjà en grande difficulté. Nous pratiquons un prix accessible et nous ne passons pas par un distributeur. Une petite commande d’un ou deux produits peut être livrée dans la journée. Une commande de 15 distributeurs, dans un délai d’une semaine. » Au total, 750 commandes ont déjà été reçues et 500 livrées. Le Conseil départemental en a commandé 150, Armor 40 mais aussi Loire Atlantique Développement, la CPAM… « Mais nous ne voulons pas en faire un business. C’est provisoire, le temps de la crise. Ce n’est pas le cœur de métier de MISM qui fabrique de la menuiserie métallique. »

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