Couverture du journal du 19/04/2024 Le nouveau magazine

Marie Chartier-Luneau, la solaire

Propriétaire, avec son mari, d’un des Muscadet les plus réputés - le domaine Luneau-Papin -, Marie Chartier-Luneau en est aussi une ambassadrice d’exception.
Portrait d’une audacieuse à l’énergie mobilisatrice.

D’une foulée nerveuse et efficace, elle emmène ses visiteurs d’un point à l’autre du domaine. Elle dit avoir hérité ce pas de femme pressée de son père. La vigneronne nous conduit ensuite sur la Butte de la Roche qui offre un point de vue extraordinaire aux contemplateurs : le regard se perd vers les marais de Goulaine, le Vignoble et Nantes qu’on entrevoit au loin. C’est sur cette « terre de pierre » qu’a débuté la culture bio du domaine, sur quatre hectares, « pour prouver qu’on n’était pas que des rêveurs ». Et d’ajouter aussitôt : « Heureusement qu’on est des rêveurs ! », qu’elle ponctue d’un rire franc, libérateur. « Il faut que je me marre plusieurs fois par jour », explique-t-elle, une posologie qu’elle administre d’ailleurs à ses enfants.

Marie Chartier-Luneau n’est pas une enfant de la vigne, mais le Muscadet est entré très tôt dans sa vie. « La gastronomie, le vin et la musique, c’était très important à la maison », témoigne cette nantaise pur jus. Entre un père qui a exercé différents métiers, dont celui de restaurateur et une mère institutrice à la fibre artistique très prononcée, Marie grandit dans une famille où le Muscadet « n’a jamais été un gros mot ». Au même titre que le Petit-Beurre ou les grandes tablées à La Cigale, il évoque pour elle un des piliers de son patrimoine. De son enfance, elle dit d’ailleurs garder en mémoire des odeurs de ferme, de jus de raisin, de menuiserie, qui symbolisent pour elle la vie.

« J’aimerais bien travailler avec vous »

Peu encline à lustrer les bancs de l’école – elle résume d’ailleurs sa formation à « un Bac moins deux » -, Marie entre dans un lycée hôtelier « pour faire comme papa ». Autonome financièrement à 18 ans, ses premiers pas professionnels la mènent pourtant vers un autre univers : le commerce. « Je suis rentrée chez Nature & Découvertes, passage Pommeraye et j’ai dit au directeur : “c’est joli ici, j’aimerais bien travailler avec vous”. » Son naturel et son audace, déjà, paient. Entrée comme stagiaire, elle restera finalement quatre ans dans l’enseigne, jusqu’à devenir formatrice, au siège. « Je n’ai pas eu l’impression de bosser », révèle-t-elle. 

S’ensuivront deux années comme commerciale, à sillonner les routes avec son atlas, sans salaire fixe. « On ne peut pas dire que je me suis éclatée, mais ça m’a appris le travail », analyse-t-elle, préférant voir le verre à moitié plein. 

Après cette expérience dans le dur, elle retourne à la restauration « un peu par hasard », au gré d’un déménagement à Bordeaux où elle ne connaît pourtant personne. De retour à Nantes en 2005, elle monte avec un ami un restaurant, rue Fénelon. C’est là qu’elle référence les vins du domaine Luneau-Papin. « J’ai rencontré Fabien Chesneau. Il était alors le premier agent à vendre des vins bio : tout le monde le prenait pour un fou », se souvient-elle. Elle, au contraire, se reconnaît dans celui qui deviendra plus tard son compère des Vignes de Nantes*. « On est de la même planète, de ceux qui aiment la vie, les gens dans leur diversité, on s’émerveille de pas grand-chose. »

Nouveau changement de vie

De fil en aiguille, elle rencontre alors Pierre-Marie. Ils sympathisent. En 2008, la maladie de sa mère et la frustration de n’avoir de temps pour rien d’autre que le travail lui donnent l’impulsion nécessaire pour changer encore de vie. L’entretien d’embauche pour s’occuper de la partie commerciale du domaine Luneau-Papin se limite à se taper dans la main… Elle dit avoir toujours rêvé de bosser dans le vin, « pour le côté racine, terrien ». 

De son aveu même, elle ne connaît alors « rien à rien ». Son énergie, sa soif inextinguible d’apprendre, mais aussi sa force de travail et son goût des autres lui permettent de prendre rapidement la main avec les acheteurs.

Tout n’a pourtant pas été simple : «  Pendant deux ans, les gens me regardaient sans me calculer parce que je n’étais pas “la fille de”, se souvient-elle. Et après, je suis devenue “la femme de” Pierre-Marie. Je leur répondais : mais non, c’est lui qui est “le mari de” !  »

Entretemps en effet, le partenariat professionnel et l’amitié se sont mués en relation amoureuse. « Nous ne sommes pas de la même planète, pour le coup, explique-t-elle. Pierre-Marie est un contemplatif, qui a besoin de temps. Moi, dès que je pose un pied par terre le matin, je suis déjà en train de penser à tout. » 

Cette complémentarité, tant personnelle que professionnelle, est le socle de leurs réussites. Elle leur permet aussi de traverser les nombreuses épreuves de leur métier. « On a un parcellaire génial, mais qui gèle beaucoup. L’année dernière, pour la troisième fois, on a perdu 80% de la récolte », glisse-t-elle. Ils se sont d’ailleurs posé la question de s’arrêter « parce que c’était trop dur émotionnellement ». La pensée de l’équipe a notamment fait pencher la balance. « On s’est dit qu’on ne pouvait pas leur faire ça. Ils auraient compris, certainement, mais moi j’aurais eu l’impression de les trahir. » 

Cette année, les vignes ont été épargnées par le gel… La crise sanitaire a pris le relais. Mais dans le coup d’arrêt qu’elle a engendré sur l’activité commerciale, Marie voit un point posi­tif. « On s’est rendu compte qu’on menait une vie de barjots », les incitant à revoir leur organisation pour replacer la famille en son cœur… Le verre à moitié plein, toujours.

*Association qui crée du lien entre les domaines viticoles nantais et les promeut Lesvignesdenantes.com


À BRÛLE-POURPOINT

Quel métier vouliez-vous faire
plus jeune ?

Styliste. Ou en tout cas tout ce qui était lié au monde artistique. Si j’avais pu faire Fame, j’aurais été trop contente !

Et si aujourd’hui vous pouviez exercer un autre métier ?

J’aurais pu être aussi heureuse en étant fleuriste, boulangère ou menuisier. Tout ce qui est artisanal, dans le faire, l’apprentissage.

Quelle(s) personnalité(s) admirez-vous ?

Je n’ai jamais eu le culte de la personne. Je n’ai pas cette case-là je crois. Il y a plein de gens qui m’inspirent. J’apprécie la diversité, d’une maman d’école que je vais croiser le matin, à un vigneron, en passant par un grand sommelier ou un chef d’entreprise. Il y a aussi des personnes qui nous accompagnent, comme mon expert-comptable qui nous a beaucoup aidés depuis dix ans. Et il y a aussi tous ceux avec lesquels je bosse dans les vignes. Quand on voit l’investissement qu’ils ont, on se doit d’être au niveau.

Un livre ou un film qui vous a marqué ?

Le Parfum de Patrick Süskind m’a beaucoup marquée. Je l’ai lu à 17 ans, je ne l’ai jamais relu depuis, mais je le garde encore en mémoire. Souvent d’ailleurs, je pense à cette histoire de fleurs qu’on met dans la graisse animale pour avoir les parfums. 

Qu’est-ce qui vous fait vous lever le matin ?

Il y a trois choses : ce que je vais mettre, le petit-
déjeuner – c’est sacré – et faire des câlins à mes enfants.

Qu’est-ce qui vous tient le plus à cœur ?

Quand je vois que tout le monde est heureux et que moi-même je le suis. Aujourd’hui, on récolte vraiment ce qu’on a semé depuis dix ans dans l’entreprise. Ça a été très dur, comme pour tous les entrepreneurs, peut-être un peu plus parce qu’on a subi des aléas climatiques que les générations précédentes n’ont pas connus. 

Votre plus grande fierté ?

Notre complémentarité avec Pierre-Marie. Notre association, quand je regarde l’histoire, c’était un peu improbable. Lui vient de familles qui n’ont jamais bougé d’ici. Moi, du côté de ma mère, ils étaient navigateurs et mon père était commerçant. Mais, finalement, quand on analyse, on se dit qu’on était fait pour se rencontrer. Notre plus grande réussite, c’est qu’on adore travailler ensemble.


LES MOTS DES AUTRES

•  Bertrand Aubry, architecte associé, agence Magnum : « Évidemment passionnée »

« C’est un personnage à part. Je définirai Marie comme évidemment passionnée. Elle a cette énergie fantastique et hyper positive qui embarque tout le monde. Elle irradie le plaisir et crée autour d’elle une sorte de tourbillon bienveillant : elle bouscule les lignes tout le temps, nous donne envie d’avancer. On a l’impression qu’il n’existe pas de limites pour elle, on ne peut pas la brider. Elle vous emmène dans son univers… Elle a fait un travail fantastique avec Pierre-Marie pour emmener le domaine là où il est aujourd’hui.

Des défauts ? Elle en a des caisses ! Marie, c’est comme un avion qui passe dans un champ ! Elle ne peut pas laisser indifférent. »

 Joël Rouleau, expert consultant, Cerfrance : « Une femme entière »

« Je connais Marie depuis presque 20 ans. Quand elle est arrivée sur l’activité commerce du domaine, elle était dans ses petits souliers. Aujourd’hui, c’est une vraie femme d’affaires, très douée commercialement, mais aussi très humaine : elle fait toujours passer les autres avant, salariés comme partenaires. 

C’est une femme entière, enjouée, qui cultive la positive attitude. Quand ça ne va pas, elle sait le dire, avec dérision : elle est d’ailleurs capable d’éclater de rire quand quelque chose ne lui convient pas, ce qui déstabilise l’autre. Elle sait très bien où elle veut aller et elle connaît aussi ses points faibles : elle met donc les moyens pour bien s’entourer. »