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Vers une logistique durable ?

Sortie des énergies fossiles, gestion des datas, talents à attirer… Le secteur logistique est confronté à bien des défis pour, à la fois, maintenir son efficacité économique et être au diapason des exigences environnementales et sociétales du 21e siècle pour la transition énergétique.

Les poids-lourds sont aujourd'hui de moins en moins polluants avec les normes Euro6 maisl'avenir du transport décarboné réside dans l'électrique et l'hydrogène. Photo iStock

En 2016, le gouvernement a défini les objectifs du secteur logistique pour une stratégie intitulée « France Logistique 2025 ». Parmi les cinq axes identifiés : « Utiliser la logistique comme levier de la transition énergétique ».

Les chiffres révèlent à eux seuls l’ampleur de l’enjeu.  Selon les dernières données complètes disponibles (2014), le chiffre d’affaires du secteur des transport de marchandises et de l’entreposage s’élève à 149 Mds€ en France. Les transports terrestres de marchandises représentent un volume total de 323,2 Mds de tonnes-kilomètres, dont 87,1% réalisés par la route (10,6% par train et 2,3% par les fleuves). 

Des poids-lourds de moins en moins polluants

Dans une étude préliminaire (mai 2015), Michel Savy1 dresse un état des lieux et les pistes de progrès. Il pointe la difficulté de définir précisément ce qu’est une chaîne logistique « vertueuse », du fait de « la multiplicité des paramètres influençant la performance énergétique et environnementale des chaînes logistiques ». Avec quelques constats tout de même. Par exemple, les progrès des poids-lourds diesel, avec une diminution depuis une dizaine d’années des émissions polluantes, passant de 80 à 50 kilotonnes (kt) par an pour le monoxyde de carbone ou encore de 400 à 250 kt pour l’oxyde d’azote. En parallèle, des émissions de CO2 du transport par poids-lourd ont légèrement augmenté entre 1990 et 2012, passant de 26,5 millions de tonnes équivalent CO2 à 27,1. « Cette amélioration provient de gains de performance environnementale des véhicules avec l’évolution des normes Euro2», analyse le chercheur.

Changer les habitudes de consommation

Le délégué régional de la Fédération nationale du transport routier (FNTR), Jean-Christophe Limousin rappelle que 
« cela fait plusieurs années que nous nous engageons vers des camions les moins vides possibles, en réduisant la consommation de gasoil. Nous cherchons à la fois à faire des économies et à réduire notre impact. La nouveauté depuis trois-quatre ans, c’est que le modèle du tout gasoil progresse vers le mix énergétique. La FNTR sensibilise ses adhérents en ce sens. Le gasoil reste le carburant le plus pertinent pour les longs trajets. Les constructeurs ont fait de gros progrès en s’équipant de poids-lourds Euro6 bien moins polluants que leurs prédécesseurs3. »

Ces camions Euro6, obligatoires depuis 2014, ne constituent pas l’ensemble des flottes en circulation, reconnaît-il. « Il faut cinq à sept ans pour qu’un véhicule soit amorti donc ce sera bientôt la fin des Euro5. »

Les transporteurs s’équipent en véhicules propres lorsque les collectivités construisent des stations de rechargement. Jean-Christophe Limousin, délégué régional de la FNTR

Autre enjeu pour la FNTR pour sortir des énergies fossiles : le maillage territorial des stations de recharge des véhicules au gaz ou électrique. « Il y a cinq ans, les collectivités nous demandaient d’acheter ces nouveaux camions, disant qu’elles construiraient alors des stations. Mais nous constatons que c’est, au contraire, lorsque des stations ouvrent que les transporteurs investissent dans des achats de véhicules propres. La Vendée est la plus en avance dans la région. Des travaux sont en cours pour les développer en Loire-Atlantique. »

Le délégué régional pointe aussi un manque de visibilité quant aux coûts, qui fragilise les transporteurs : « Le secteur vit sur des marges réduites. Avant de se lancer dans un nouveau modèle économique, les entrepreneurs réfléchissent, mais aujourd’hui ils ne sont pas sécurisés. Nous avons obtenu un gel de la TICPE ( taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques) sur le gaz jusqu’en 2022, les incitations financières aident les transporteurs à se projeter, mais après 2022, c’est l’inconnu. D’autant qu’un véhicule au gaz coûte environ 30% de plus qu’un véhicule classique. Le coût de revient du transport augmente et il faut que les chargeurs et les consommateurs le comprennent. » Et de déplorer un développement du e-commerce basé sur une « livraison gratuite » : « On ne peut pas se faire livrer à tout-va et vouloir des camions silencieux sans payer. Le transport est certes offert, mais pas gratuit. » Une communication qu’il estime contraire aux objectifs de développement durable. La FNTR a ainsi demandé, lors de la Convention citoyenne créée après le mouvement des gilets jaunes, d’ôter cette mention de gratuité. Jean-Christophe Limousin insiste sur les efforts de la filière « qu’il faudrait valoriser. Aujourd’hui, ce sont surtout les ETI, les groupes qui ont modifié leurs politiques d’achat. Il est difficile d’intégrer les TPE-PME, qui représentent l’essentiel du secteur. Il serait bon de créer un fonds de financement pour elles. »

Un Port du 21e siècle ?

Lorsqu’on évoque un transport plus vert, on se tourne naturellement vers le maritime. Paul Tourret, directeur de l’Institut supérieur d’économie maritime (Isemar) à Nantes, estime que, pour ce secteur, la diminution du carbone est en cours. Il dégage trois grands volets d’action à l’échelle du territoire. À commencer par le développement du transport maritime à la voile entre la Loire-Atlantique et la Bretagne, avec le projet Neoline. Il relève aussi la question du développement prometteur de l’hydrogène, encore embryonnaire. Enfin, la logistique urbaine est à réorganiser pour voir circuler moins de camions (voir l’encadré ci-dessous).

Pour Paul Tourret, le Port Nantes Saint-Nazaire va suivre l’évolution du 21siècle. « Le plan stratégique est en cours d’écriture et doit être rendu cette année. Nous réfléchissons à développer l’économie circulaire en réutilisant l’énergie fatale des bateaux. » Autre enjeu : celui du courant de quai. Les bateaux à quai continuent de consommer du gasoil avec un groupe électrogène. « Il faudrait que les bateaux soient raccordés au réseau électrique pour arrêter ces émissions de CO2. Cela se fait à Dunkerque, cela a été demandé à Nantes. Cela ne constitue pas un gros défi (environ 1,5 à 2 Mégawat) mais tirer des câbles dans une ville coûte cher… Pourquoi ne pas installer des panneaux solaires sur les entrepôts ? 
Il faudrait que le port soit producteur de son électricité. »

Par ailleurs, « le coronavirus pose la question de la dépendance aux produits manufacturés sur les cycles productifs et interroge notre timing de consommation, notamment des fruits et légumes. Cela questionne l’évolution générale du transport. Avec cette grande pause, nous allons nous rendre compte de cet impact. Si on remet en cause la logistique des transports, il faut se poser celle de notre consommation », insiste-t-il.

Une nécessité pour attirer les talents

De son côté, Nicolas Derouault, vice-président de la CCI Nantes St-Nazaire en charge de l’industrie, et délégué géné­ral d’Idea, estime qu’un des principaux enjeux d’une logistique durable est de réussir à concevoir ces solutions logistiques vertueuses tout en intégrant la data comme une aide à la décision. « La logistique s’appuie sur un monitoring très fort. Comment faire en sorte de mieux intégrer tous les paramètres, pour n’importe quel flux, comme les saisons, la météo, les mouvements sociaux… ? On doit être capable de les intégrer pour livrer à temps, tout en sécurisant les biens et les datas et, de façon majeure, en intégrant les aspirations des nouvelles générations. »

Des nouvelles générations à séduire, d’autant plus que le secteur peine à recruter. Selon une étude de Pôle emploi (2019), les 20 métiers qui recrutent le plus en Loire-Atlan­tique comprennent plusieurs métiers de la logistique : chauffeur de poids-lourd, préparateur de commandes, cariste ou encore gestionnaire des stocks. En Pays de la Loire, le secteur de la logistique comptait 83 000 salariés en 2018, soit 11,4% des salariés totaux (contre 10,1% en France). C’est le cinquième secteur d’activité en termes d’emplois dans la région.
Nicolas Derouault insiste sur la nécessité de donner du sens au projet d’entreprise. « Je ne crois plus du tout que le service au client ou la rentabilité peuvent motiver les nouvelles générations. Il faut travailler sur des valeurs qui convergent vers le bien commun », estime-t-il.

Montée en puissance de l’éolien, motorisation hydrogène, bâtiments de plus en plus neutres, traitements des espaces verts… Autant d’innovations qui n’en sont qu’à leurs débuts mais qu’il convient de développer. « Le logisticien ne peut pas s’abstraire de construire une logique vertueuse », insiste Nicolas Derouault. Des chefs d’entreprise sont sensibles à ces questions d’autant qu’ils ont besoin d’attractivité. Même si un dirigeant ne l’est pas, ses collaborateurs ne tarderont pas à le lui rappeler. »

1. Michel Savy est directeur de l’Observatoire des politiques et des stratégies de transport en Europe, ingénieur de l’École centrale et docteur d’État en sciences économiques. 

2. La norme Euro a été créée par l’UE en 1988 pour les véhicules lourds afin de limiter les émissions de polluants liées aux transports routiers.

3. Par comparaison, les véhicules Euro6 émettent 0,4g/kWh d’oxyde d’azote contre 3,5 pour les véhicules Euro4 et 2 pour les Euro5. Sur l’émission de dioxyde 
de carbone, les poids-lourds sont passés de 11,2 g/kWh avec Euro0 à 1,5 avec Euro6.